vendredi 3 août 2012

Présentation de l'exposition par F.-R. Simon sur le site Doucet-Littérature

Exposition "Les Horizons perdus de Stanislas Rodanski", par François-René Simon

Page publiée le 28 juillet 2012 sur le site Doucet-Littérature

Exposition à la Bibliothèque municipale de Lyon du 24 avril au 20 août 2012.

François-René Simon, co-organisateur de l’exposition et éditeur en 2009 du récit Requiem for me dans la collection « Inédits de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet » aux Éditions des Cendres, présente ici cette exposition dont nombre de documents proviennent de la bibliothèque.

Il prépare actuellement un nouveau volume, Substance 13, dans la même collection aux Éditions des Cendres.



Sortant de la gare de la Part-Dieu à Lyon, une fois franchi le boulevard Vivier-Merle, le fantôme de Rodanski vient à votre rencontre. On pourrait en effet inverser les rôles tant l’exposition “Les horizons perdus de Stanislas Rodanski” s’est obstinément acharnée à restituer l’aventure de celui qui a traversé le surréalisme à la vitesse d’un météore avant de trouver refuge à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Lyon où il séjourna sans discontinuer la moitié de sa vie qui dura cinquante-quatre ans (1927-1981). Conçue et scénographiée par Jean-Paul Lebesson et l’Association Stanislas Rodanski, réalisée matériellement par la Bibliothèque municipale de Lyon, cette manifestation a bénéficié de l’appui essentiel de la Bibliothèque Doucet. Elle a pu ainsi présenter une quantité importante de manuscrits provenant du fonds Rodanski, constitué par l’inestimable legs de Jacques Veuillet venu s’ajouter en 2004 aux manuscrits acquis par la Bibliothèque lors de la vente Leroy en 2002, notamment celui de La Victoire à l’ombre des ailes, l’œuvre la plus connue de celui qui s’appelait administrativement Stanislas Bernard Glücksmann.

Cette exposition a d’ailleurs plus à voir avec la restitution des chaos et des cahots d’une vie qu’avec une simple présentation d’œuvres. Le recours à la photo, au cinéma, à la vidéo, aux enregistrements a donné à cette restitution de l’univers – des univers ! – rodanskiens une dimension physique immédiatement perceptible. De surcroît, l’obtention tardive mais ô combien précieuse de documents familiaux qu’on pensait définitivement inaccessibles a donné à cette exposition le caractère d’une révélation.

Car Rodanski, sciemment ou non, a semé non pas des petits cailloux sur son chemin mais des trous, des béances, des pièges dans lesquels beaucoup sont tombés. On pourra davantage les éviter maintenant que des repères fiables ont été établis.

Stanislas Rodanski en 1980 à la terrasse du glacier Nardone à Lyon (photo de J.-P. Lebesson)

Le visiteur est accueilli par une photo géante de Rodanski à la terrasse d’un café lors d’une de ses très rares sorties, en 1980. Il semble scruter l’horizon, l’horizon perdu, avec l’air de celui à qui on ne la refait pas. Cette première salle, dévolue à l’écriture avec pas moins de sept tables-vitrines, présente des manuscrits selon les préoccupations de leur auteur : poèmes, récits de rêves, journaux, correspondance, textes autobiographiques, écrits sur la lecture et l’écriture. La variété de celle de Rodanski et la révélation de son œuvre graphique, dessins, lavis, formes abstraites où se nichent les angoisses, seront une découverte pour beaucoup.

Une double page du manuscrit de Substance 13, à paraître en novembre

De part et d’autres de ces vitrines, des photos au format d’affiche, la projection en boucle mais ralentie du scratch de l’avion d’Horizon perdu (le film de Frank Capra d’où peut-être tout est parti) et des pêle-mêle de petites photos punaisées sur les murs : ancêtres, compagnons de jeunesse, surréalistes, parrains littéraires. Signalons aussi le feuilletage sur écran vidéo de deux rares documents provenant de collections particulières, le “cahier Imago” et le “Grand Registre noir”.

 La seconde salle, en angle, est volontairement perturbée par cinq bannières de toile fine pendant du plafond. Y sont reproduits trois photos immenses de Rodanski, deux manuscrits et un portrait par Jacques Hérold, qui fut son ami le plus attentif, y compris dans sa longue trajectoire d’enfermement. De Jacques Hérold justement est déclinée La Liseuse d’aigle, gouache de 1942 aimablement prêtée par Daniel Filipacchi, présentée aussi dans sa version gravée ayant servi pour l’édition de luxe de L’Aigle, Mademoiselle, premier recueil de lettres du marquis de Sade publié par Gilbert Lely. Rebond dans une vitrine avec manuscrit, tapuscrit, première édition d’un texte de Rodanski se référant à cette gouache et… réécriture par Rodanski desdites lettres ! Autre tableau du même prêteur, Le Septième sens, de Victor Brauner, une cire de 1947 ouvrant les documents sur la participation éclair de Rodanski au mouvement surréaliste : reproduction sous forme de journal disponible au public des numéros 1, 2 et 3 de la revue Néon dont il trouva le titre et où il publia ses premiers textes, table-vitrine avec catalogue de l’exposition surréaliste de 1947 et divers manuscrits dont la seule lettre conservée d’André Breton à Rodanski. Dans ce “carrefour des errances” aux murs repeints en noir, à la lumière sensiblement atténuée, un mannequin en costume d’aviateur des années trente plane au-dessus de cette pièce entièrement dévolue aux aventures tant physiques que mentales qui sont la matière de son œuvre-vie : acrobaties aériennes, parachutisme, films noirs, mythes, amour fou. Sur les murs, des photos de ses chimères : réelles comme ces femmes plus ou moins aimées (sa mère Maïta, Béatrice de La Sablière, un mannequin nommé Janine), ou rêvées comme ces étoiles de cinéma (Ava, Greta, Rita…) et d’illusion, « ce problème insoluble ». Le centre cette pièce dévolue au noir est occupée par une vitrine où trône le “cahier Imago”, ouvert sur la page où Rodanki a collé en diagonale ces quatre lettres : V.O.I.R.


Quelques-uns des carnets glossolaliques tenus par Rodanski dans la dernière partie de sa vie (photo de J.-P. Lebesson)

On entre dans la troisième et dernière salle ou plutôt à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu par l’effet d’une installation vidéo en trois écrans qui nous entraîne à la fois dans une longue déambulation le long des cloîtres de cet hôpital que Rodanski n’a cessé d’arpenter et à l’intérieur des carnets qu’il y a noircis inlassablement. De nouveau des vitrines, dont une entière consacrée au livre-objet réalisé en 1975 par le peintre Jacques Monory pour La Victoire à l’ombre des ailes : une valise de tueur à gages contenant un pistolet d’alarme, deux balles, une carte du Pacifique, et six sérigraphies illustrant l’édition sur beau papier du seul livre publié du vivant de son auteur. Le peintre a prêté pour l’occasion un grand tableau, Série B, et une grande sérigraphie, Monet est mort, le représentant tirant sur la valise. Aux murs, une affiche, un portrait en triptyque de Rodanski réalisé pour l’occasion par Matthieu Messagier, d’autres photos et surtout des casques audio où l’on entend d’un côté la voix spectrale du poète, de l’autre sa respiration, sa simple respiration. Saisissant et bouleversant. Dans les dernières tables-vitrines, au nombre de six, on peut constater l’essor des publications posthumes de Rodanski, dans de multiples revues comme chez divers éditeurs. Chaque fois, les manuscrits correspondants sont exposés, la plupart venant bien sûr de la Bibliothèque Doucet. Dernière de ces parutions, non pas le catalogue de cette exposition, mais un ouvrage dû à ses organisateurs : Stanislas Rodanski, éclats d’une vie (Fage éditions), qui comprend une biographie thématique due à Bernard Cadoux, une importante iconographie et un recueil de textes inédits. En outre, un DVD du film Horizon perdu, réalisé par Cadoux et Lebesson autour et avec Rodanski, accompagne cet ouvrage de référence. On ne part pas sans s’être arrêté devant une imposante “mangeoire” : elle contient, partiellement lisibles, une cinquantaine des carnets rédigés à Saint-Jean-de-Dieu, ultime et acharné témoignage de son aventure, glossolalies fascinantes d’un capitaine de vaisseau fantôme estompé dans les brumes de ses horizons perdus. Ce que rappelle, en signe de fin, un petit objet-collage de Rodanski précisément intitulé Fantôme.